Quand les âmes errantes frôlent le monde des vivants POLAR Le mandarin Tân enquête dans le Vietnam du XVIIe siècle

C'est drôle et captivant Elisabeth Gilles Il ne peut sortir que du bon d'une histoire qui commence par les aventures de Contemplation Retenue, nonne bouddhiste, végétarienne par définition et tourmentée par des rêves de viande: lamelles de b?uf longuement marinées dans de la sauce au gingembre, poisson ferme et tendre sous sa robe de citronnelle, farandole de grenouilles grillées peuplent son sommeil. De fait, «L'esprit de la renarde» (Ed.Philippe Picquier) tient largement ses promesses.C'est le dernier roman de Thanh-Van Tran-Nhut et la cinquième enquête du mandarin Tân.Dans le Vietnam du XVIIe siècle, celui-ci devra une fois encore tirer au clair des meurtres avec l'aide de son ami Dinh, lettré fantasque. L'histoire se passe à Faifo, ville portuaire cosmopolite dont on explore avec curiosité les gargotes, le tribunal où une bande de fonctionnaires fainéants jouent aux cartes à longueur de temps, les culs-de-sac obscurs où Tân affronte des malfrats, les auberges où de jeunes prostituées exercent leurs talents.Aube Violette, par exemple, en sait long sur le coup du poisson frétillant dans la grotte vermeille ou les goules chevauchant le vent. Mais le beau mandarin a des principes, confucéens, et n'a pas que cela à faire.Il doit non seulement comprendre qui a tué Mme?Prune, mais aussi d'où viennent ces mains et pieds coupés qui arrivent empaquetés au tribunal.Et vite, car Dinh, soupçonné, a été jeté en prison, où il côtoie le maître chanteur Postillon Fétide. L'époque est par ailleurs troublée par une crise politique interne, des guerres aux frontières, une frénésie d'échanges commerciaux où tous les coups tordus sont permis.Sans parler de l'exposition brutale aux influences occidentales, qui permet de créer quelques personnages de marins portugais poilus et odorants.Il y a vraiment tout ce qu'on peut souhaiter dans ce roman-là: de la parodie, de la bouffonnerie et des scènes carrément déjantées comme celle qui fait s'affronter le capitaine Aquilino Lopes de Oliveira et quatre vieilles déchaînées «biceps d'acier contre péronés de porcelaine». Les bienfaits de la consommation d'urine I l y a encore un décor construit le plus sérieusement du monde, à grand renfort de recherches en bibliothèque sur le contexte historique; une intrigue évidemment, où il est entre autres question de médecine ayurvédique et de recherches sur les bienfaits de la consommation d'urine.Et même de belles scènes étranges et fantastiques pleines de poésie, où rôdent les esprits, dont celui de la renarde. Thanh-Van Tran-Nhut, née en 1962 à Hué, au Vietnam, a passé son enfance dans le Michigan, avant que sa famille vienne s'installer dans une petite ville de province, en France.Elle est ingénieur en informatique diplômée d'une université californienne.Avec sa s?ur Kim (qui a fait des études scientifiques aussi mais en France), elles commencent en 1999 à écrire à quatre mains les aventures du mandarin Tân, toutes parues aux Editions Picquier. Les deux derniers romans, pourtant, ont été écrits par Thanh-Van seule, Kim s'étant tournée vers une littérature plus fantastique, publiée dans des collections pour la jeunesse.En 2002, Thanh-Van embarque «dans un rêve vieux d'un siècle: faire le tour du monde.Sac à dos et pataugas».C'est «l'année de tous les bonheurs», lit-on sur son site (tvtn.free.fr), où on trouve aussi un joli portrait chinois des deux s?urs..Elisabeth Gilles