Petits Meurtres Entre Voisins
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Mon quartier, face à l’île des Gords, est peuplé, à quelques exceptions près, de petits bourgeois paisibles, bien sous tous rapports, sans histoires mais avec pécule. La vie s’écoule tranquillement au gré du courant, à l’ombre des peupliers et des acacias. Les canards, nourris avec du pain rassis de luxe, affichent des rondeurs accortes et des plumes lustrées.

Mais récemment, le vent vivifiant du scandale, ébouriffant feuillages et plumages, s’est engouffré dans les rues cossues de la Varenne Saint-Hilaire en Saint-Maur. En effet, Monsieur Jean-Paul, retraité à la barbe savamment taillée, ancien élève de l’école des mines, ex-fonctionnaire reconverti dans l’horticulture, lorgne sans vergogne sur sa jeune voisine, Madame Blanche. Cette dernière, oisive et coquette femme au foyer, s’est laissée séduire par l’impressionnant engin de son admirateur. Il faut dire que le 4x4 diesel, dans lequel Monsieur Jean-Paul la fait monter pour faire le tour de ses vergers, crache d’épaisses volutes de fumée aptes à dissimuler des attouchements coupables. Les mauvaises langues décrétèrent que cela ne se faisait pas de croquer ainsi dans la pomme de la débauche, alors que les bonnes âmes déclaraient qu’après tout, ils étaient dûment chaperonnés par six autres vieillards de petite taille, tous entassés à l’arrière du formidable véhicule comme une brochette de fugueurs échappés d’une maison de retraite.


Les voisins faisant des gorges chaudes de l’affaire, Monsieur Marv, le mari de Madame Blanche, finit par en avoir les oreilles qui lui cornent. D’autant plus qu’il surprit un jour le galant jardinier en train de conter fleurette à sa femme. Les choses se gâtèrent irrémédiablement quand elle reçut de Monsieur Jean-Paul une corbeille composée de fruits de la passion et de deux couilles du pape. Monsieur Marv, boucher de son état, mais soucieux de sa réputation, jura qu’il allait faire la peau à son rival à la première occasion. Le suivre sur les bords de Marne et lui tailler violemment une bavette ? Le prendre par surprise et lui couper brutalement la chique ? Le hacher menu pour en faire de la chair à pâtée ? Dans tous les cas, dépiauté ou éviscéré, cou tranché ou poumons perforés, le vieux lubrique allait passer de vice à trépas.


Dès lors, alléchés par la perspective d’une joyeuse boucherie, les riverains pousse-au-crime flânent plus volontiers ces jours-ci le long de la rivière, à l’affût du coup de feu mortel ou de l’estocade sanglante. 


Hémorragie et lente agonie au milieu du doux bruissement des feuilles qui frissonnent – et voilà que l’île des Gords devient soudain île du Gore.